Bonjour à tous, je vous propose un article assorti d'un exemple concret pour que vous compreniez exactement ce que vos chargés de TD attendent de vous. J'espère en tout cas que ça vous servira.
Il s'agit de voir, outre la méthodologie formelle qui consiste à expliquer qu'il faut traiter l'arrêt par le truchement d'un plan avec grand I et grand II etc. qu'il y a une méthodologie des idées qu'il faut parvenir à saisir. Il est donc intéressant de se pencher plus concrètement et de manière plus pertinente sur le commentaire d'arrêt pour comprendre ce qu'on demande véritablement aux jeunes juristes comme nous.
Oui car, cela a dû arriver à tout le monde, notamment en L1, de rendre un commentaire que l'on pensait avoir plutôt bien réussi mais qui a été sanctionné par un 7 ou un 8. Une déception donc, et parfois un découragement. Mais c'est le piège qu'il faut éviter. Avoir une note très moyenne ne remet pas vos "compétences intellectuelles" en cause. Seulement, sur ce devoir, et bien il apparaît que vous n'avez : soit pas assez travaillé, soit pas tout à fait compris le sujet, soit que la méthodologie (celle dont je vais parler) ne vous est pas encore tout à fait familière. Mais c'est une note X, à un moment T et elle ne doit pas être comprise comme rattachée à ce que vous valez, vous, en tant que juristes, mais bien à ce que ce devoir, singulier, et peut-être dur, qui ne vous aura cette fois-ci pas réussi, vaut. Ne pas s'affoler, comprendre ce que le prof a noté, et essayer de se relire calmement en essayant de produire une auto critique : je n'ai peut-être pas assez insisté sur ce point, je n'ai peut-être pas expliqué tel autre point, j'ai peut être pas tout à fait compris ce point, je n'ai pas traité ce point, etc.
Une fois ce travail fait, vous êtes prêt à rattraper cette note et à vous lancer dans un nouveau commentaire, tout neuf, qui sera réussi cette fois.
Le but du commentaire est parfois voire souvent pas clairement expliqué par les prof. Et la question reste entière : qu'attend-t-on de nous ? Comment a fait untel pour avoir 15 ou 18 alors que moi j'ai tout juste 10 à chaque fois ? Nous allons essayer de répondre à toutes ces questions ici.
D'abord donc, quel est le but, quel teneur doit détenir un commentaire ? Un commentaire, c'est d'abord et avant tout une analyse d'une décision de justice. Une analyse personnelle, une analyse pertinente. Cette analyse doit être accompagnée d'une critique. Une critique positive, ou négative, ou bien les deux. Mais vous devez toujours montrer au correcteur ce que vous pensez réellement de cet arrêt, ce que vous pensez de la décision rendue. Ne pensez pas que, parce que ce sont les juges du quai de l'horloge, les haut magistrats de la cour de cassation, leurs raisonnements et leurs appréciations souveraines sont forcément parfaits et exempts de toute critique. Souvent d'ailleurs, les décisions que l'on a à commenter appellent à la semonce. On ne demande pas non plus de dire "ça c'est nul, le juge a déconné, il aurait pas dû, il est nul, il fallait dire ça". La critique pour être "recevable" doit être étayée et expliquée. Par exemple, vous avez une décision d'annulation de contrat pour réticence dolosive : il va falloir travailler cette notion et tout ce qu'elle engage. Qu'est ce ça évoque en moi, quelles questions je peux me poser sur les faits ? Les jugent ont-ils jugé en opportunité ? La solution retenue est-elle dans la lignée jurisprudentielle antérieure ? Est-ce un arrêt de principe, ou d'espèce ? Cet arrêt aura-t-il une répercution importante ? Cet arrêt a-t-il été beaucoup commenté par la doctrine ? Concrètement, est-ce légitime d'inclure la réticence dolosive dans le dol ? Est-ce bien, selon vous, d'étendre autant la notion de dol ? Et la liberté contractuelle alors ? Et le principe d'autonomie de la volonté... J'en passe et des meilleurs. Il faut bien réussir à produire des arguments pour et des arguments contre. Commenter un arrêt, c'est en quelque sorte s'adonner à une discussion avec son for intérieur. Je pense ça, mais les juges ont dit ça. Pourquoi les juges pensent ça alors que moi je pense ça ? Il va falloir expliquer au correcteur pourquoi telle autre solution aurait éventuellement pu être envisageable. En fait, et logiquement, tout votre commentaire sera orienté vers telle appréciation, ou telle autre. Soit vous êtes d'accord avec les juges, et dans ce cas là, il va falloir expliquer pourquoi la décision rendue est congrue, et pourquoi les juges ont choisi de rendre tel arrêt sur tel visa. De bien expliquer que les éventuelles autres solutions juridiques n'étaient pas exploitables en l'espèce. Il faut orienter, et cela pourquoi pas, dès l'intro, votre "angle d'attaque". Chacun commentera l'arrêt sous l'influence de son propre ressenti : en d'autres termes, chacun aura son avis sur la question de droit qui est soulevée par les parties et reprise par les juges. C'est aussi pour cela qu'il n'existe pas de plan type pour ce genre d'exercice. Il faut noter en outre que le commentaire n'est pas une dissertation et qu'il faut s'efforcer de toujours faire le lien avec l'arrêt. Il ne faut pas partir dans des laïus interminables sur une question philosophique. Vous pouvez agrémenter votre commentaire d'une critique "morale" par endroits mais attention malgré tout à ne pas trop vous éloigner du juridique. En gardant en tête également que vous commentez un, ou des attendus de la cour de cassation, c'est-à-dire, des motifs de pur droit sur l'arrêt rendu préalablement par la cour d'appel. Faites donc bien attention à ne pas trop vous attarder sur les motifs de la cour d'appel. Egalement, il est intéressant de proposer des solutions. Si vous avez un problème de droit et que la cour ne répond que très partiellement (c'est souvent le cas), vous pouvez sans soucis proposer des solutions. A quel moment peut-il y avoir dépendance économique dans un contrat entre professionnel ? Etc. Par ailleurs, il est largement conseillé d'aller voir les notes d'auteurs, car votre travail est d'une certaine manière le même travail que font les auteurs lorsqu’ils commentent un arrêt, à la différence près que nous avons un plan précis à respecter. Pour trouver les notes comment faire ? Vous allez sur Lexis-Nexis ou Dalloz, avec le compte de votre fac (logiquement elle doit en avoir un). Vous regardez les références. Si vous voyez "JCP", vous faites vos recherches dans le JCP ; si vous voyez RTD, vous cherchez dans le RTD ; si vous voyez recueil Lebon, ou Dalloz vous recherchez dans ces documents. Avec le nom de l'auteur que vous cherchez (c'est toujours marqué dans les références) et la notion clef de l'arrêt. Si vous n'avez pas de référence, vous ne précisez pas dans quel recueil vous cherchez, vous marquez simplement la notion clef et la date de l'arrêt. Vous devriez tomber sur des choses intéressantes.
Je vais donc proposer un arrêt fait par mes soins, pour lequel j'ai vraiment beaucoup travaillé et qui m'a permis d’avoir une très bonne note (plus de 15) et qui pourra peut-être vous inspirer pour comprendre comment on peut donner notre avis, en étant pas forcément d'accord avec la cour, mais en proposant des arguments. Vous verrez que je me suis bien appuyé sur des citations d'auteurs. Que j'étudie la jurisprudence (peut-être trop d'ailleurs, ça m'a été reproché dans ce commentaire), et que j'essaye d'expliquer tous les points que je propose. Bien sûr, le jour du partiel, les prof n'attendront peut-être pas forcément un arrêt aussi long et fourni, mais quelque chose dans ce style.
Comme il est d'usage à ce sujet, le commentaire a été rédigé par mes soins et n'est pas reproductible ni utilisable. Je vous saurai donc gré de respecter cette recommandation.
Je vous souhaite bonne réussite pour vos futurs commentaires, pour de plus amples informations, n'hésitez pas à poser vos questions en commentaire.
Commentaire d’arrêt : Chambre Commerciale, 15 janvier 2002.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007071735&fastReqId=1762798820&fastPos=1
« Lorsqu'en 1995, l'Assemblée plénière abandonnait le visa de l'article 1129 du code civil pour la notion d'abus, elle savait fort bien ce qu'elle voulait quitter, mais peu où elle voulait aller ». Cette citation de P. Stoffel-Munck, peu chaleureuse à l’égard des hauts magistrats, donne pourtant un aperçu général et tangible de ce à quoi ressemblera la décision de l’arrêt de l’assemblée plénière en date du 15 janvier 2002.
Il apparaît très clairement que l’unilatéralisme est à l’ordre du jour depuis quelques années déjà. Le bilatéralisme avait été laissé de côté directement après ces quatre illustres arrêts de la haute cour civile réunie en son assemblé la plus solennelle en 1995. Les magistrats n’entachaient alors plus systématiquement de nullité absolue les contrats cadre notamment pour « indétermination du prix ». Le pouvoir de fixer unilatéralement le prix était ainsi contrebalancé par la réserve de l’abus, notion au combien difficile à analyser puisque ce sont nombre d’éléments factuels et singuliers qui jouaient dans son efficience réelle.
Avant d’aller plus loin dans cette introduction, il est intéressant de relever d’office quelques circonstances relatives à cet arrêt précisément qui vont tantôt atténuer sa critique, tantôt l’aggraver. La cour est composée « selon l’article L. 131-6, alinéa 2 du Code de l’organisation judiciaire » ce qui signifie qu’il s’agit d’une assemblée restreinte de 3 magistrats. Par ailleurs, cet arrêt n’a pas été publié au bulletin officiel. Ainsi on note d’emblé que les magistrats du quai de l’horloge n’ont pas voulu donner une forte répercussion à cet arrêt d’espèce. Il conviendra d’analyser cela plus loin.
En l’espèce, France Motors, un importateur exclusif de véhicules, qui s’était trouvé confronté à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, notamment la société d’Exploitation du garage Schouwer sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité. Les mesures en question étaient : un présumé abus du droit du concédant de fixer unilatéralement les conditions de vente et un refus de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait.
C’est dans ces conditions que la société concessionnaire « Garage Schouwer » diligentait une action contre son concédant, aux fins d’obtenir le paiement de dommages et intérêts pour les deux abus susvisés. Accueillie favorablement par la 5ème Chambre de la cour d’Appel de Paris, la demande du concessionnaire fut retenue. Cela était sans compter sur le pourvoi en bonne et due forme de France Motors. Mais la cour de cassation dans son arrêt du 15 janvier 2002 maintient, dans une décision peu assurée, la position de la juridiction du fond.
La cour d’Appel a retenu comme justification en substance que : le concédant ne s’était pas imposé la même rigueur bien qu’il eusse disposé de moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il avait distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il eut été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires. Et que notamment, en ce qui concernait le concessionnaire demandeur, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l'insuffisance d’actif que celui-ci a accusé.
Les questions de droits posées furent donc multiples. Mais il s’agissait globalement de savoir dans quelles conditions de fait un abus dans le droit de fixer unilatéralement les conditions de vente pouvait être légitimement retenu par les juges.
La cour de cassation, en maintenant pleinement la solution de la cour d’appel a ainsi répondu qu’il y avait un abus dans la fixation unilatérales des conditions de vente, reprenant les même motifs que ses prédécesseurs au fond.
Ainsi il sera intéressant de voir que cette fixation unilatérale des conditions de vente est un pouvoir légitime et reconnu par les hauts magistrats mais encadré depuis le révolution jurisprudentielle que constituent les quatre arrêts d’assemblée plénière de 1995 (I) ; mais d’envisager de ce fait que l’on assiste manifestement à une forme d’interventionnisme judiciaire de plus en plus prégnant (II).
I. La fixation unilatérale des "conditions de vente", un pouvoir reconnu mais encadré depuis 1995.
Cette fixation unilatérale des conditions de vente est en l’espèce sanctionnée car constituant un abus selon la haute cour. Le préjudice sera alors réparé non par une nullité mais par des dommages et intérêts (A). Toutefois, il n’en reste n pas moins qu’un tel abus est très difficilement démontrable et ainsi rarement retenu (B).
A) La fixation unilatérale des conditions de vente sanctionnée en l'espèce.
Avant d’en venir à la sanction infligée en l’espèce il convient, pour bien comprendre cette décision d’analyser rétrospectivement et assez cursivement l’évolution de la jurisprudence en ce qui concerne la fixation unilatérale du prix ou plus génériquement l’indétermination du prix. On remarque globalement 3 phases successives. Avant 1978, il était d’usage de sanctionner l’indétermination du prix au visa de l’article 1591 du code civil disposant : « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ». Cependant, cette position n’était pas tenable car cet article appartient au titre VI du Livre troisième qui traite uniquement des contrats de vente que l’on peut qualifier de « prosaïques ». Les contrats cadre et autres contrats de distribution, qui sous tendent l’idée d’une institutionnalisation des rapports contractuels, n’entraient ainsi pas précisément dans cette catégorie bien que formellement les juges aient pu l’admettre. La rigidité était telle qu’elle ne permettait aucune marche de manœuvre. Il est pourtant courant dans ce genre de contrats de ne pas connaitre précisément et pour chaque transaction le prix et la valeur de chaque marchandise. Dans un second temps, à l’occasion un arrêt du 11 octobre 1978, les juges ont entrepris d’annuler les contrats cadres sur le fondement de l’article 1129 du Code civil et non plus sur l’article 1591, ce qui étendait d’autant plus la sanction pour indétermination du prix : tous les contrats étaient concernés. C’est ainsi que les haut magistrats de la cour de cassation se sont livrés à : « une véritable chasse à l’indétermination du prix dans les contrats » selon l’expression consacrée de P. Malaury.
Le dernier mouvement est celui qui a suivi la révolution jurisprudentielle des quatre arrêts d’assemblée plénière de 1995 (un de rejet, trois de cassation). Dans ces arrêts, les magistrats, s’étant rendu compte que la sécurité juridique était en berne, ont décidé d’entériner et de légitimer dans un certaine mesure (et c’est un euphémisme) la notion d’indétermination du prix dans des attendus limpides, et notamment : « Mais attendu que l’arrêt 1129 du Code civil n’étant pas applicable à la détermination du prix » (1er décembre 1995). Ils proposent par ailleurs une sanction plus souple : la résiliation du contrat sans rétroactivité ou des dommages et intérêts. « Les sanctions se sont déplacées du stade de la formation du contrat à celui de son exécution » faisait remarquer Gilles J. Martin. Nous sommes passés concrètement d’un bilatéralisme extrême à un unilatéralisme peut être excessif. L’arrêt du 22 janvier 2002 est venu rappeler que la constatation d’un abus dans la fixation unilatéral de prix était envisageable.
Ainsi est-il donc important de réussir à déterminer comment la cour procède pour qualifier cet abus. Selon la doctrine dominante et la jurisprudence, deux situations cumulatives semblent pouvoir caractériser un tel abus.
D’abord, une situation de dépendance économique manifeste. En l’espèce, la société Schouwer est, de façon patente, entièrement dépendante de son concédant. Elle ne possède aucune marge de manœuvre : elle est concessionnaire exclusive de Mazda. On peut relever d’ailleurs que, même si la cour de cassation n’examine pas le moyen, la cour d’appel avait bien pris en compte le fait que la garage Schouwer n’était pas parvenu à obtenir une dérogation à la clause d’exclusivité contenue dans le contrat, de représenter la marque Daewoo. La possibilité pour le concessionnaire de faire jouer la concurrence est donc primordial dans la dépendance économique, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Ensuite, un prix disproportionné. Dans cette affaire il s’agit de « condition de vente », une notion pour le moins vague qui n’emporte pas conviction. J. Mestre dans une de ses notes le remarques très justement : « les juges préfèrent parler ici du droit du concédant de fixer unilatéralement « les conditions de vente », sans que l'on sache très bien, d'ailleurs, de quelles ventes il s'agit : celles de l'importateur au concessionnaire ou celles aux clients de la concession, ce qui est plus probable... ». Sans doute les juges se sont-ils basés sur les pratiques actuelles qui étaient d’usage en matière de concession automobile : ils ont pu ainsi comparer et en déduire que les conditions de vente dans lesquelles se trouvait ladite société étaient inadmissibles. Mais est-ce véritablement suffisant pour constituer un abus ? La question a été tranchée en l’espèce mais reste pourtant entière. Le fait que le concessionnaire ne tire pas de profits de ses ventes entre alors également dans cette notion des « conditions de vente » : toutefois, l’effondrement du marché automobile concomitamment à la hausse du yen demeurent des causes hétéronomes qui font partie des vicissitudes de la vie commerçante d’un revendeur. Gilles J. Martin avait précisé dans une de ses observations que ce n’était pas « le prix abusif qui était sanctionné mais l’abus dans la fixation du prix ». Remarque vétilleuse ? A priori oui, mais en fait, elle est lourde de sens et nous renvoie directement aux notions fondatrices de notre droit des contrats : la bonne foi et la liberté contractuelle. Ce n’est pas tant, dans les faits, une inadéquation avec les prix du marché qui sanctionne l’abus mais bien l’état d’esprit, en somme la psychologie du concédant dans la fixation de ses conditions de ventes. Ainsi, l’on est en droit de se poser des questions quant au rôle du juge dans cette affaire, cela sera développé plus en aval dans ce commentaire.
B) La difficulté d'établir un abus dans la fixation du prix dans les conditions de vente.
Les juges retiennent-ils une conception étroite de l’abus en le caractérisant que de manière exceptionnelle, ou retiennent-ils plutôt une conception large ? La première solution est la bonne et cet arrêt en témoigne d’ailleurs au travers notamment de ses attendus, à tout le moins, pusillanimes des juges de la cour de cassation. Dans un premier temps, il n’est pas inutile de souligner que la charge de la preuve d’un abus dans la fixation unilatéral du prix dans le cadre de ces relations entre professionnels appartient à la partie « dominée » structurellement. Structurellement car en effet, bien que le concessionnaire soit réputé indépendant, il n’en reste pas moins dépendant, dans le schéma structurel : concédant, concessionnaire, d’un point de vu pratique. C’est ainsi à la société S. de revendiquer et dénoncer un abus si elle considère que le concédant a abusé de son pouvoir de fixer unilatéralement les prix. Pour continuer dans ce sens, il est opportun de consulter la jurisprudence. Un arrêt analogue de la cour d’appel de Paris en date du 24 octobre 2000 doit attirer l’attention. En l’espèce il était question d’un abus dans la fixation du prix dans une affaire concernant un contrat de location de coffre-fort. La banque avait brutalement augmenté le loyer de plus de 150% pour le ramener ensuite à 84%. La cour d’appel avait décidé de condamner la banque pour « une anomalie manifeste apparente ». Le cour de cassation a censuré cette décision au visa des articles 1134 et 1135 : « Attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que la banque était libre de fixer le prix qu'elle entendait pratiquer, alors, d'autre part, qu'il résultait de ses propres constatations [la locataire], qui bénéficiait d'un préavis d'un mois pour résilier son contrat, avait été tenue informée du changement de politique de la banque plus de six mois avant l'échéance, disposant ainsi du temps nécessaire pour s'adresser à la concurrence, de sorte qu'il n'était pas démontré en quoi elle avait été contrainte de se soumettre aux conditions de la BNP en renouvelant un contrat qu'elle restait libre de ne pas poursuivre, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le comportement fautif de la banque, a violé les textes susvisés ; ». La dépendance économique, pour laquelle le critère de concurrence est considérable, n’est pas justifié dans cette affaire puisque la concurrence était ouverte. Cette lignée jurisprudentielle, dans laquelle l’arrêt du 15 janvier 2002 fait exception, emmène à s’interroger sur la possibilité d’envisager un statut quo qui permettrait de retenir, selon des critères constants, un éventuel abus. Plusieurs possibilités ont été proposées par les auteurs : renversement de la charge de la preuve, possibilité de résilier sans frais le contrat sans avoir à prouver un abus si le concessionnaire n’a pas la possibilité de faire jouer la concurrence. Mais d’autres solutions peuvent être envisageables notamment, par exemple, des clauses qui stipuleraient que le concédant ne peut, directement ou indirect, s’opposer à ce que le concessionnaire fasse marcher la concurrence sous peine d’être condamné à une indemnisation.
II. Un interventionnisme judiciaire implicitement renforcé.
L’interventionnisme judiciaire implique un renforcement prononcé des exigences de loyauté notamment (A). Cet arrêt fait ainsi l’objet d’un véritable contrôle en opportunité qui n’est pas dénué d’intérêt critique (B).
A) Un renforcement des exigences de loyauté et de bonne foi dans le cadre de relations.
En tout état de cause, les principes de loyauté et de bonne foi semblent largement endiguer l’appréciation souveraine des juges. Par exemple dans cet arrêt, le fait que le concédant ne distribue pas les dividendes prélevés sur les bénéfices est appréhendé à l’aune du principe de loyauté entre professionnels. De même, lorsqu’on regarde les moyens du défendeur (France Motors), on s’aperçoit très distinctement qu’il tente de montrer qu’il a toujours été de bonne foi même si ses choix comptables eurent été « moralement » peu recommandables. Mais tout cela semble logique. En effet, les relations contractuelles dans les contrats de distribution, contrats cadre, contrats de franchisage ont cette particularité que : la dépendance économique qui sévit parfois presque naturellement est contrebalancée par une obligation de coopération. En effet, pour que les deux parties tirent un maximum de profit, une entente est nécessaire. D’autant plus que le concédant a la possibilité de fixer unilatéralement les prix.
Toutefois, ces grands principes souffrent d’une certaine forme de vétusté. Bien que ceux-ci soient honorables, ils ne sont manifestement plus tout à fait en phase avec la réalité contractuelle et affairiste des relations commerciales du XIXème siècle : on en a un flagrant exemple ici : la partie la plus forte a préféré flatter ses actionnaires plutôt que ses filiales. Pourquoi cela ? Car d’un point de vue de pure stratégie économique, cela lui permettra, à lui, de faire des profits plus substantiels qu’en « soulageant substantiellement chacun de ses actionnaires ». Est-ce véritablement réprimandable ? Juridiquement en tout cas les juges ont répondu positivement… Aujourd’hui, les cocontractants sont tiraillés entre la force des principes de bonne foi et la force du principe de liberté contractuelle : deux notions qui semblent s’annuler mutuellement. Le législateur de 1804 fondait la respectabilité du Code civil sur la bonne foi entre les acteurs économiques de l’époque. On ne pouvait lui reprocher mais la donne a -depuis- considérablement changée.
B) Un contrôle, en pleine opportunité, critiquable.
Il y a la bons nombres d’éléments éminemment intéressants à soulever dans ce développement. D’abord, il s’agit là d’un plein contrôle en opportunité effectué par les haut magistrats. Elle fait preuve d’un solidarisme certain envers la partie la plus faible. Toutefois, sa position n’est pas assurée ni résolue. Cela se ressent à la lecture attentive de l’arrêt : « qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstance de la cause, la cour d’appel, (…), a pu (…) ». Cela fait un nombre importants de circonstances et d’appréciations, qui, emboitées les unes dans les autres indiquent que la cour d’appel « a pu estimé que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente ». Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Que les hauts magistrats auraient tout aussi bien pu prendre la décision inverse en cassant l’arrêt pour manque de base légale ? En tout cas, on est bien loin des habituels « a exactement pu déterminer » ou « a légalement justifiée »… Ces éléments, reliés avec les remarques produites en introduction, marginalisent d’autant plus cet arrêt
En dehors de ces observations techniques, on peut se demander si c’est vraiment le rôle du juge de s’immiscer dans ce genre d’affaires. Est-ce véritablement au juge de se prononcer sur des choix stratégiques et économiques d’un distributeur peu altruiste ? Véritablement, le solidarisme social judicieusement dénoncé par la doctrine relève, selon P. Stoffel-Munck, d’un « devoir de comportement » qui devrait échapper à l’appréciation des juges. Les cocontractants entretiennent une relation de force qui est alimentée par des contingences extérieures à leur attachement. Le droit de la consommation et le droit social semblent petit à petit glisser et s’étendre aux relations entre professionnels. Le Pr. Carbonnier s’étonnait d’ailleurs qu’« à une époque où le mariage s’était peut être trop transformé en contrat, d’aucuns aient rêvé de transformer tout contrat en mariage ». Les relations contractuelles se transforment petit à petit en des sortes d’entités qui, empreintes d’une bonne foi sans égale, se devraient sincérité, franchise, honnêteté et loyauté (pourquoi pas devoir d’assistance ?). Ce choix juridique est avant tout un choix politique, une manière d’aborder globalement le droit du contrat. Cet arrêt est néanmoins teinté d’une telle singularité et d’une telle opportunité (d’ailleurs, le comportement du concédant procédait lui aussi d’une pleine opportunité) qu’on pourra penser qu’une telle décision ne refera pas jurisprudence tout de suite ; ou en tout cas, on l’espère, sur d’autres arguments juridiques
NB : tous ces conseils ne sont pas obligatoirement à prendre au pieds de la lettre. J'espère simplement qu'en lisant ça, si vous avez du mal dans cet exercice, vous comprendrez mieux ce qu'attendent les prof de vous. Cette "méthodologie", cette façon d'appréhender le commentaire, reste malgré tout très personnelle et n'est donc peut-être pas forcément juste en tout point. Toutefois, je pense qu'une bonne partie des éléments que je soulève peut être intéressante. Vous vous ferez un avis tout seul. Je ne peux seulement rien garantir... En tout cas bonne chance pour votre prochain devoir à rendre =).